Karesansui et Jardin de Thé
Architecture
On trouve le terme karesansui dans le sakuteiki (premier traité connu sur l'Art du jardin au Japon écrit à la fin du XIe siècle). Il fait alors référence à des parties de jardin aménagées à l'aide de pierres où l 'absence d'eau est une caractéristique essentielle (d'où la traduction généralement accordée, de "paysage sec"). On utilise le terme zenki karesansui pour qualifier ces premiers karesansui des époques Heian (794-1185) et Kamakura (1185-1333). C'est cependant durant cette dernière, que le karesansui va véritablement se développer comme archétype à part entière pour atteindre son apogée pendant l'époque Muromachi (1334-1568) où il prendra la forme si caractéristique à nos yeux, à savoir : des aménagements de pierres organisés sur un lit de gravillons, de sable ou de mousse. Le terme karesansui fait donc historiquement référence aux périodes Muromachi, Momoyama (1568-1603) ainsi que Edo (1603-1868). Pendant cette dernière période, les karesansui vont évoluer à nouveau et s'étendre en terme de superficie. Ils seront très souvent englobés dans un jardin bien plus important encore, ne constituant plus des jardins indépendants comme à la période féodale. Enfin, le terme kôki karesansui, a été créé par les historiens pour désigner les karesansui postérieurs à la période Edo.
Dans les lignes suivantes, nous nous intéresserons plus particulièrement aux karesansui des époques Muromachi, que l'on peut qualifier de "religieux" et qui constituent vraiment l'essence de cet archétype, avant qu'il n'évolue et ne se "banalise" durant les périodes suivantes. Communément appelé "jardin zen", c'est en effet dans les monastères de cette école bouddhique qu'apparaît et se développe cet archétype. Le zen (mot venant du sanscrit "dhyan" dont la signification est "méditation") est introduit au Japon pendant l'époque Kamakura durant la seconde vague d'influence chinoise. Rapidement, ce nouvel enseignement atteint d'autres strates de la société nippone, en particulier les bushi, la classe des guerriers qui a pris véritablement le pouvoir à cette époque (voir historique). Le Japon vit en effet une période trouble : des guerres ravagent le pays. Dans ce climat belliqueux, où la vie côtoie la mort chaque jour, les militaires se sont retrouvés dans certains des préceptes du zen, comme le ji-riki, qui préconise que l'Homme est seul maître de sa destinée. La méditation joue également un rôle important (rôle que l'on retrouve encore de nos jours dans les Arts martiaux), c'est en effet au travers elle, que l'on peut atteindre un état de vacuité mentale totale, un état de "non pensée" (mushin). C'est cet état qui peut conduire un moine à l'illumination (satori) ou un guerrier à la victoire. Cette notion de "vide" (terme qui n' a pas du tout le même sens qu'en occident, "vide" n'étant ici pas synonyme de "néant") va se traduire sur le plan du jardin, par une esthétique très dépouillée, simplifiée à l'extrême, aux limites de l'abstraction.
Le mot "paysage" en japonais se compose de deux signes qui sont (san = montagne) et (sui = eau). Ce sont donc au travers de ces deux éléments que la Nature sera symbolisée. Si l'eau est physiquement absente dans le karesansui, elle n'en est pas moins "présente" symboliquement au travers d'étendues planes recouvertes de mousse, de sable ou de gravillons, au milieu desquelles des pierres savamment disposées, représentent des paysages réels ou mythiques, ou encore des figures allégoriques. Un des points caractérisant cet archétype de jardin, est le fait, qu'il est immuable, le temps n'a pas d'emprise sur lui. Ni les saisons, ni les années ne le changent, ce qui symboliquement est très important, et historiquement très intéressant, puisque pour la plupart d'entre eux, ces jardins sont rigoureusement identiques à leur design original (les karesansui de l'époque.
Edo comportant plus de végétation, cette remarque est surtout valable pour les jardins ne comportant que peu ou pas de plante du tout).
Si les préceptes de la géomancie chinoise concernant l'organisation d'un jardin (tels qu'ils sont décrits dans le sakuteiki, premier "traité de jardinage" écrit à la fin du XIe siècle) sont toujours en vigueur à l'époque féodale, force est de constater qu'ils ne sont plus si rigoureusement appliqués dans les jardins des monastères Zen. Cependant quelques principes fondamentaux subsistent et sont notifiés dans un ouvrage de l'époque Muromachi, le Sansui narabini nogata-no-zu. Tout ce qui a trait aux pierres y tient une place importante. En effet, plus que les plantes elles-mêmes (qui parfois sont totalement absentes), ce sont les pierres qui sont plus que jamais les éléments principaux de cet archétype de jardin. Bien entendu, les préceptes du in-yô gogy setsu pour un bon équilibrage du Ki dans l'aménagement du jardin font toujours référence, mais l'utilisation des pierres a évolué, leur aménagement devient codifié... On peut y voir la tentative de l'Homme à intégrer du sens à une Nature qui en est dépourvue. Rappelons que l'environnement naturel de l'archipel du Japon est plutôt hostile, d'où sans doute cette adoration et cette crainte pour la Nature et ses éléments. Il nous faut préciser enfin, que certains karesansui plus tardifs, n'utiliseront que du sable réalisant ainsi une abstraction complète de la Nature. C'est notamment le cas au Jishoji plus connu sous la dénomination de Ginkakuji ou "temple au pavillon d'argent".
Le but de ces jardins monacaux n'est plus ludique ou récréatif, mais contemplatif (kanshôniwa). Ils sont conçus pour être vu depuis un (ou plusieurs) endroit(s) bien précis en station assise, le plus souvent depuis une véranda (en), et constituent de fait, de véritables tableaux en 3 dimensions. Autre analogie avec la peinture, les karesansui sont systématiquement "cadrés" par des murs d'enceintes, s'inscrivant ainsi dans une forme rectangulaire contrastant avec les formes naturelles des éléments du jardin. On ne pénètre donc pas physiquement à l'intérieur de ces jardins, qui de façon générale sont d'assez petites tailles, mais on "parcourt" mentalement les "vastes" paysages qui y sont représentés à petite échelle, illustrant ainsi des principes zen comme : le "grand" peut se trouver dans le "petit", ou qu'il ne faut pas se fier à la superficialité des choses. Les karesansui traduisent donc une idée symbolique ou des émotions personnelles, et constituent un support à l'enseignement des doctrines. L'idée que les jardins zen soient donc des supports méditatifs, n'est donc pas vraiment exact, il ne faut pas confondre "contemplation" et "méditation". C'est en effet plus dans la pratique quotidienne des soins à apporter au jardin, que les moines exercent encore aujourd'hui, leur aptitude à la concentration. Le ratissage du sable ou l'entretien de la mousse sont des bons exemples, ces tâches (comme l'ensemble des autres tâches ménagères rythmant la vie d'un moine) devant être réalisées avec une extrême rigueur dans un esprit de "méditation active ".
L'Homme au travers du zen, doit apprendre à dépasser les apparences pour percevoir la vérité cachée des choses. La même démarche est appliquée dans les jardins secs au travers du principe esthétique Yûgen, que M.P.Keane traduit par "résonance profonde". On abandonne les éléments constitutifs ostentatoires employés jusqu' alors (comme dans les résidences des aristocrates de style Shinden par exemple) pour les remplacer par d'autres, plus épurés, afin de représenter l'essence même de la Nature, et non plus ses manifestations externes. "Il faut chercher à raconter beaucoup de choses au travers très peu d'éléments, plutôt que de se disperser dans une multitude d'éléments pour ne pas dire grand chose" comme l'explique Shunmyo Masuno, moine zen maître paysagiste vivant aujourd'hui à Yokohama, connu pour ses réalisations internationales de jardins secs résolument contemporains, mais profondément ancrés dans la tradition du karesansui classique. Finis donc les feuillages et fleurs colorés, la palette des tonalités employée devient "monochrome", à l'instar des peintures à l'encre chinoise des écoles Song du Sud (1127 - 1279) et Yuan (1279-1368) qui ont fortement influencé les moines créateurs de jardins de l'époque féodale. Cette influence est telle, que certains principes esthétiques caractéristiques de ces peintures sont appliqués aux jardins, comme yohaku no bi ("beauté de l'espace laissé en blanc"), où les espaces nus de gravier ratissés, ne sont pas sans rappeler les "vides" du papier laissé vierge. Le karesansui est sans doute "LE" jardin japonais graphique par excellence, cherchant au travers l'asymétrie de ces éléments constitutifs, un équilibre "naturel". Equilibre entre le fond et la forme, entre les pleins et les vides, entre la courbe et la ligne droite.
S'inscrivant dans de petits espaces ceints, ces œuvres d'art religieuses traduisent l'adoration de la Nature et le goût du peuple japonais pour le symbolisme et la miniaturisation. C'est d'ailleurs à l'époque Kamakura (1185-1333), au début de l'ère féodale donc, que bonsai ( arbre en pot, travaillé de sorte à rester de petite taille) et bonseki (paysages miniatures élaborés à l'aide de petites pierres et de sable, disposés sur un plateau laqué ou en céramique) sont rapportés de Chine et rencontrent un grand succès dans le pays. Le karesansui, est une tentative de révelation de la nature vraie de la réalité, au delà des aspects illusoires du monde, à l'aide d'éléments simples, et peu nombreux. Le Zen va fortement marquer la société japonaise et en particulier les Arts. Nombre d'entre eux, caractéristiques de la culture nippone, y trouvent leurs racines, c'est le cas entre autres, de l'ikebana (arrangement floral), du théâtre nô , le dessin à l'encre sumi-e etc, et bien entendu du chanoyu (cérémonie du thé), ambassadrice de la voie du thé ( chadô ou sadô), qui développera à son tour un archétype de jardin : le chaniwa ou rôji.
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